Viagra

Le Comité d'éthique recommande un remboursement « sélectif » du Viagra

Le Viagra, premier médicament des troubles de la fonction érectile masculine, sera-t-il pris en charge par la Sécurité sociale ? Longtemps taboue, la question est aujourd'hui d'actualité avec le rapport du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), rendu public le jeudi 6 avril. Intitulé « Médicalisation de la sexualité : le cas du Viagra », ce document de cinq pages avait été demandé le 23 juin 1998 par Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. M. Kouchner ne cachait pas, à l'époque, ses inquiétudes face au développement de médicaments destinés non pas à corriger une pathologie déterminée, mais à procurer un certain confort. Le secrétaire d'Etat à la santé s'interrogeait aussi sur les multiples conséquences de la médicalisation de la sexualité humaine et sur la problématique de la prise en charge par la collectivité d'une molécule proposant de remédier à certaines « défaillances » masculines.

L'analyse de ce dossier par les membres du CCNE a de quoi surprendre. Disponible depuis un an et demi dans les pharmacies d'officine, le Viagra a, selon la filiale française de la multinationale pharmaceutique Pfizer, déjà été utilisé par trois cent mille personnes d'un âge compris, pour la moitié d'entre elles, entre quarante et soixante ans. Il est prescrit dans 80 % des cas par des médecins généralistes et, pour le reste, par des spécialistes d'urologie ou d'andrologie. « La présentation du Viagra a d'emblée pris la forme d'une réponse thérapeutique à une pathologie individuelle nouvelle, comme si le dysfonctionnement érectile était indépendant de tout contexte relationnel et affectif, observe le CCNE. Or la population ciblée était celle affectée d'un affaiblissement physiologique de la sexualité associé à l'âge, ce qui laissait penser que des hommes plus jeunes n'étaient pas confrontés à ce problème. En visant une clientèle particulière aux revenus souvent aisés, le discours à connotation médicale amplifiait aussi la logique de la performance qui, depuis une génération, entoure les questions de sexualité. Pathologie, médicalisation, logique de marché et référence à une certaine vision de la performance : telles sont les caractéristiques socio-culturelles du discours perçu lors du lancement de ce »médicament de la sexualité«. »

« Médicament De La Vie Relationnelle »

Les « sages » du CCNE notent d'autre part que l'intense médiatisation de ce « médicament de la vie relationnelle » a conduit à « encourager son emploi » dans des situations où le symptôme - l'impuissance masculine - n'avait aucune base organique. Cette observation est d'autant plus intéressante que les thérapeutiques des troubles organiques de la ménopause, qui améliorent notablement la vie sexuelle des femmes concernées, n'ont pas bénéficié d'un tel retentissement médiatique. Au terme de leur analyse, les membres du CCNE soulignent que « toute amélioration des troubles de la vie sexuelle concourt au bien-être de l'individu ». « Cependant, notent-ils, la vie sexuelle diffère d'autres fonctions individuelles car elle n'est pas vitale, elle fait appel à l'interaction complexe de facteurs physiques et mentaux et renvoie souvent à la complémentarité d'un autre. Cette complémentarité peut signifier au plan thérapeutique que l'on dépasse la simple prise d'un médicament. »

En d'autres termes, s'il « estime légitime que la société puisse aider au remboursement du Viagra dans les cas où il est évident que la dysfonction érectile est organiquement perturbée [suite des interventions chirurgicales sur la prostate, diabète évolué, lésion de la mlle épinière, affection neurologique] », le CCNE « ne considère pas que la société doive prendre en charge toutes perturbations de la vie sexuelle d'un individu ou d'un couple en l'absence de pathologie identifiée connue ».

Cette prise de position des « sages » officiellement chargés de conseiller le gouvernement sur les questions relatives à l'avancée des sciences et des techniques médicales met en lumière les ambiguïtés de la position adoptée par la filiale française de Pfizer. Craignant qu'une demande de prise en charge par la Sécurité sociale du Viagra ait pour effet de réduire de manière drastique le prix de vente choisi pour ce médicament (actuellement commercialisé à hauteur de 75 francs la dose), les responsables du laboratoire avaient fait le pari qu'une forte rentabilité serait ici associée à son non-remboursement. Le remboursement « sélectif » recommandé par le CCNE conduira, si la firme le demande, à une modulation de ce prix comme c'est déjà le cas pour quelques molécules anti-migraineuses. Selon certains observateurs, Pfizer pourrait demander un remboursement plus large du Viagra afin de consolider la part de marché qu'il a pu obtenir depuis un an et demi face aux médicaments concurrents qui, à court ou moyen terme, viendront réduire sa position dominante sur le créneau de la dysfonction érectile masculine.

Jean-Yves Nau
Le Monde

  • Publié: 26/10/2013 14:34
  • Par Mark Andris
  • 152402 vues
comments powered by Disqus