Lean - L’arme anti-gaspi

Lean - L’arme anti-gaspi

Le régime minceur venu du Japon arrivera- t-il à convaincre les industriels de l’agroalimentaire ? En ces temps de crise, il semble en tout cas gagner du terrain. Il faut dire qu’il dispose d’arguments de poids : réduction des coûts, amélioration de la qualité, augmentation de la productivité. De quoi š'agit-il ? Du Lean.

Le Lean, traduction de "maigre", est une démarche née dans le secteur automobile, inspirée du modèle Toyota. Son objectif est de produire au plus juste et d’éliminer tout ce qui n’apporte pas de valeur ajoutée : la surproduction, les délais d’attente, les tâches et les mouvements inutiles, la non qualité ... Cette démarche englobe des techniques et des outils permettant d’éliminer les gaspillages et la variabilité, d’ améliorer la flexibilité des outils et des méthodes de travail, mais elle préconise aussi une organisation du travail radicalement différente, donnant une place beaucoup plus importante à l’initiative des opérateurs et de l’encadrement et visant à progresser ensemble souligne le rapport réalisé en 2006 par Mc Kinsey Global Institute qui, dès 2006, a préconisé le développement du Lean comme levier d’optimisation des performances des entreprises.

Toute entreprise qui veut s’améliorer de manière continue et pérenniser ses résultats a intérêt à entamer son parcours Lean », précise Gilbert Liégeois, président de l’Institut Lean France, association créée pour diffuser les bonnes pratiques de cette approche sur le territoire national. Le déploiement de la démarche Lean s’appuie sur la mise en place d’ une palette d’outils dont certains sont déjà familiers aux IAA : 5S, TPM, Smed... Mais il ne faut pas croire que si l’on implante un par un ces outils, l’entreprise fini-ra par devenir Lean. Le Lean nécessite un autre mode de pensée et de management. C’est pourquoi nous préconisons de commencer par former les managers avant de commencer à introduire les outils, tempère Gilbert Liégeois.

Sur les traces de l’automobile, les industries agroalimentaires, déjà initiées aux démarches d’amélioration continue, semblent bien être réceptives à ce type d’approche. Une démarche Lean se doit d’ être lancée quand on est encore en bonne santé financière. Les IAA, moins touchées que d’autres par la crise, ont tout intérêt à s’y mettre alors qu’elles en ont encore les moyens. De plus, dans un environnement anxiogène tel que nous le rencontrons actuellement, l’expérience montre que les salariés sont prêts à se mobiliser massivement autour d’un plan de recherche d’économies, avec à la clé des résultats intéressants pour l’entreprise, remarque Philippe Delwarde, D.g. du cabinet conseil Quaternaire. Une mobilisation bien présente dans les entreprises comme Danone, Marie, Les Crudettes, Fromagerie Milleret qui se sont lancées dans l’aventure Lean.

Basé sur le bon sens, le Lean vise à produire au plus juste pour garantir la satisfaction du client tout en simplifiant les pratiques de fonctionnement. Explications.

La démarche Lean, portée activement par les sociétés de consulting il est vrai, fait des émules dans tous les domaines industriels y compris dans l’agroalimentaire. Dans un contexte de crise, les industries alimentaires cherchent à retrouver des marges et se tournent vers des méthodes qui ont fait leurs preuves dans d’autres secteurs comme l’automobile. Mais il existe des spécificités propres aux IAA comme le manque de stan- dardisation de la matière première ou des temps incompressibles dans la fabrication qui nécessitent de bien réfléchir à l’adaptation du lean pour pérenniser les démarches, souligne Xavier Blais, spécialiste de la performance industrielle.

Autre particularité du secteur : les contraintes réglementaires et d’organisation, notamment en matière d’hygiène et de propreté. Il faut décloisonner les démarches et éviter de déployer les outils du Lean à la marge des systèmes de management de la qualité, car cela conduit à générer de nouvelles règles opérationnelles sans exploiter l’existant. Or il s’agit bien des mêmes processus que ceux attendus dans le cadre de la norme Iso 9001 ou de l’IFS dans une moindre mesure, conseille de son côté Olivier Dagoreau, directeur d’Exaris, cabinet d’expertise en analyse de risques.

Mais quelle est donc l’origine de cette dé-marche qui fait l’actualité des spécialistes enorganisation industrielle ? Petit rappelhistorique : après la seconde guerre mondiale, Kiichiro Toyoda et Taiichi Ohno, ingénieurs de production chez Toyota, réfléchissent aux possibilités d’améliorer le concept de standardisation développé par Henri Ford afin d’assurer un flux continu ainsi qu’une grande variété de produits. C’est la naissance du système de production Toyota (TPS) basé sur le juste-à-temps et les flux tirés.

Un vrai changement de culture

Et puis, en 1990, trois chercheurs améri- cains, James Womak, Daniel Jones et Daniel Roos, décrivent dans le livre "The machine that changed the world" l’efficacité du TPS rebaptisé alors "Lean" (maigre en anglais). Son principe : concentrer les énergies sur la création de valeur pour le client en simplifiant les pratiques de fonctionnement dans une approche coopérative d’amélioration continue et mobiliser l’ensemble des équipes autour d’objectifs de performance ambitieux. Il s’agit d’un véritable changement de culture dont la réussite passe par une très forte implication de la direction générale, explique Frédéric Le Moigne, associé du cabinet Proconseil, et spécialiste du Lean dans l’agroalimentaire. Le Lean concerne toutes les fonctions de l’entreprise : la production bien sûr (Lean Manufacturing) sur laquelle il s’est d’abord concentré mais aussi les domaines marketing, commercial...

Chaîne de valeurs

Les opérations sans valeur doivent être supprimées. Cette réduction du gaspillage peut ainsi devenir à terme un avantage concurrentiel pour l’entreprise, souligne Bernard Tanous, dont le cabinet conseil propose un logiciel d’aide à l’optimisation des flux. Et cette approche Lean a d’autant plus de sens que le niveau de valeur ajoutée de 1’en- treprise dans ses transformations est important. Elle apporte donc des béné- fices en particulier dans des entreprises de fabrication de produits traiteurs et élaborés, abattage-découpe avec condi- tionnement, colisage ..., poursuit-il.

Le Lean serait-il alors l’apanage des grands groupes ? Pas du tout, répondent unanimement les experts interrogés qui pointent la souplesse des méthodes, leur étendue de la production aux services et l’importante des bénéfices potentiels. Toutes les entreprises sont concer- nées par cette approche même s’il est vrai que les grands groupes dont les dirigeants viennent parfois de l'automobile s’y sont intéressés plus vite,précise Hubert Siegfriedt, directeur du cabinet Lean Training. Reste que le Lean est une vraie culture qui nécessite un nouveau regard sur l’outil industriel autour des notions de flux, de valeur ajoutée. Adopter une démarche Lean revient à adopter de nouveaux modes de fonctionnement. Aussi ne faut-il pas être dogmatique lorsque l’on souhaite déployer une telle méthode et s’adapter à la culture de l’entreprise. Dans un grand groupe structuré, on cherchera à homogénéiser les façons de faire à l’ ensemble des sites alors que pour une PME, l’approche sera plus opérationnelle, plus pratique, note Sébastien Caillau, directeur des opérations du pôle conseil d’Elcimaï, dont la société va accompagner, à la demande de la CCI de l'Artois, six entreprises dans une démarche Lean, dont une du secteur agroalimentaire. Par ailleurs, la mise en place du Lean dépend du type d’industrie. Ainsi, dans une laiterie ou le produit est en permanence dans des tuyaux, on ne regardera que très peu le process, à l’exception d’une démarche TPM (Total Productive Maintenance) et on se focalisera plutôt sur la collecte amont ou lalogistique aval, poursuit-il.

Ces principes étant posés, comment faire pour mettre en place cette démarche ? 80 % des délais, 50 % des coûts et 35 % des pertes de capacités sont le fait d’activités sans valeur ajoutée, celles pour lesquelles le client n’est pas prêt à payer c’est-a-dire des gaspillages, des dépenses ajoutées, de la non-valeur ajoutée, explique encore Fréderic Le Moigne. II s’agit notamment des délais d’attente pour la mise en route d’une machine ou une prise de décision, de surplus de stock, de mouvements et déplacements inutiles, de non qualité, de surproduction...

Boîte à outils

Le principe est donc d’identifier ces points noirs, de les analyser et de mettre en place des actions correctives. La démarche s’appuie ainsi sur divers outils aux noms aussi évocateurs que VSM, Smed, 5S, TPM, Kanban... Ces derniers concernent les flux et les processus, les produits, la maitrise des opérations ou des ressources, les hommes et l’organisation.

Mais ces outils peuvent être soit ses meilleurs amis s’ils sont bien utilisés et permettent d’identifier les gaspillages, soit ses pires ennemis si l’on se laisse aveugler par ces derniers et que l’on oublie la démarche globale, souligne Sébastien Caillau. L’analyse de la non-valeur soulève de nombreuses questions stratégiques, dont la rationalisation des gammes. II s’agit notamment de mesurer l’impact sur le plan industriel de la suppression d’un produit non essentiel. En combinant cette réflexion à une démarche Smed, qui permet de diminuer les temps de changement de formats, et avec la mise en place d’une maintenance de niveau 1, n’arrivera-t-on pas à gagner suffisamment pour décaler des investissements, ou réduire ses stocks et donc diminuer ses encours ?, analyse Philippe Delwarde, directeur général du cabinet de conseil en management Quaternaire. Management visuel et ap- proche ludique peuvent être aussi pri- vilégiés. Chez un de nos clients, nous avons dessiné sur une bande de papier de dix mètres de long, sa ligne de production et 1’avons collée au mur. Puis, les équipes terrain ont été invitées à y positionner des post-it de couleur correspondant à un type de perte (énergie, main-d’œuvre, produit, etc.) et à mettre un commentaire sur ces papiers. Le résultat a été excellent car cela leur a permis de se projeter dans leur environnement de travail habituel, explique encore Philippe Delwarde.

Des écueils à éviter

Tout serait donc si simple ? Pas sûr car le chemin sur la voie de la performance est souvent semé d’embûches. Tout d’abord, au niveau de 1’organisation : pour être pérenne, un projet Lean doit être porté par la direction, et impliquer un chef de projet qui assure cette activité transverse de métho- dologie. Or il n’existe presque jamais en IAA de fonctions méthodes transverses, souligne encore Philippe Delwarde. Par ailleurs, pour que la mise en place d’une démarche lean s’accompagne d’effets significatifs, il s’agit d’éviter quelques écueils : accumuler les micro-chantiers et perdre le sens global de la démarche, ne pas communiquer suffisamment autour du projet, ne pas être suffisamment transparent sur les économies que génèrent les améliorations, ou même oublier de fêter avec les équipes l’atteinte d’un objectif !

Laurent Bénard, Françoise Foucher, Isabelle Gattegno

  • Publié: 21/01/2016 23:02
  • Par Mark Andris
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