Grandes manoeuvres scientifico-commerciales autour du génome du rizet

En annonçant qu'elle « offrait » à la communauté scientifique ses données sur le génome du riz décrypté ( Le Monde du 6 avril), la firme américaine Monsanto a jeté le trouble parmi les chercheurs engagés dans le séquençage. Lors des IXes Entretiens d'Agropolis, consacrés à l'amélioration des plantes par les biotechnologies, qui se sont tenus récemment à Montpellier, les avis des scientifiques balançaient entre perplexité et critiques. « Sous des dehors philanthropiques, Monsanto pourrait bien faire main basse sur les séquences génétiques du riz, voire sur celles des grandes céréales », redoute Michel Delseny, du laboratoire de physiologie et biologie moléculaire des plantes (CNRS-université de Perpignan), l'un des pilotes du programme de génomique végétale en France. Une réticence partagée par nombre de ses collègues. Pudiquement baptisées « copie de travail » par Monsanto, les séquences décryptées par l'industriel manqueraient, si l'on en croit les chercheurs, de précision, voire de solidité. « Pour obtenir un décryptage précis et complet, nous devons répéter une dizaine de fois l'analyse de toutes les séquences. Or les chercheurs de Monsanto n'ont fait que cinq passages. C'est nettement insuffisant et cela exige un énorme travail de finition », résume Pierre Lagoda, du laboratoire Biotrop du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) à Montpellier.

Vérification Impossible

En outre, les banques de clones (petits fragments d'ADN de 1 000 à 3 000 paires de bases nucléotidiques), à partir desquelles on réalise le séquençage proprement dit, restent confidentielles, rendant impossible toute vérification du travail effectué par Monsanto.

« Ces données assez brutes sont néanmoins utiles » dans les étapes d'assemblage des fragments déjà décryptés, notaient en revanche le 4 avril à Tokyo les représentants du Consortium international sur le séquençage du génome du riz (l'IRGSP). « Ce matériel représente la possibilité de réduire d'environ 50 % le coût total du projet [de séquençage du génome du riz, évalué à 1,2 milliard de francs] et pourrait nous permettre de finir dans les trois ans », ajoutaient-ils.

Il n'en reste pas moins que, « avec deux ou trois ans d'avance, Monsanto a tout le temps de mettre en évidence les fonctions de certains gènes d'intérêt agronomique, non seulement chez le riz mais aussi chez d'autres grandes céréales comme le blé, le maïs ou l'orge », estime Rick de Rose, de RhoBio, à Evry, qui regroupe des grandes firmes semencières et biotechnologiques françaises (Rhône-Poulenc-Aventis et Biogemma), « car il existe de solides homologies entre certaines parties de leur génome et celui du riz. » Ainsi, des gènes clés pour lutter contre des virus ou des champignons, pour accroître les rendements, ou encore améliorer la qualité des grains pourraient être découverts par Monsanto et protégés par brevets. Ce qui engagerait l'avenir de l'agriculture mondiale.

Cette méfiance des chercheurs est renforcée par deux clauses imposées par la multinationale pour l'accès à ses données. La première, spécifiée dans un communiqué daté du 4 avril, stipule que « si des chercheurs brevètent des inventions basées sur l'utilisation directe des données de Monsanto, la compagnie se réserve la possibilité de négocier en premier une licence non exclusive pour ces brevets ». En clair, traduit Rick de Rose, « l'exploitation ultérieure de gènes présentant un intérêt agronomique, sur n'importe quelle céréale, serait conditionnée au paiement à Monsanto d'un droit d'utilisation de leurs données. C'est inacceptable ! ». De sérieuses batailles juridiques en perspective...

Des Règles Mises En Cause

Une deuxième clause a singulièrement agacé les Français engagés dans le décryptage du chromosome 12 du riz. Monsanto France avait, en effet, demandé par fax au Génoscope d'Evry que, « jusqu'à la mise dans le domaine public du décryptage complet du génome du riz par les membres de l'IRGSP, les données découvertes par Monsanto restent confidentielles ». Cela impliquait que, pour pouvoir utiliser les informations de Monsanto, les chercheurs ne devaient rien publier avant d'avoir eux-mêmes entièrement achevé leurs travaux. Un moyen pour la firme de maintenir son avance, mais qui remettait en cause les règles adoptées par le consortium. En effet, précise Francis Quetier, vice-président de Génoscope, « chaque équipe publie ses résultats sur Internet au fur et à mesure de ses avancées, afin que n'importe quel scientifique dans le monde puisse s'en saisir librement ». Après discussion, la firme de Saint-Louis a néanmoins accepté que les chercheurs de l'IRGSP publient leurs séquences finalisées, BAC (gros fragments d'ADN) par BAC, admettant que ce travail affiné n'est pas l'équivalent de la « copie de travail » de Monsanto.

Il n'empêche, la suspicion demeure. « Le consortium doit redoubler d'efforts sans attendre d'éventuels accords avec Monsanto. En France, nous devrions poursuivre comme prévu le séquençage proprement dit des fragments d'ADN du chromosome 12, préparés à Montpellier et Perpignan », souligne Michel Delseny. Déjà, une mégabase de chromosomes vient d'être séquencée à Evry. Certains industriels pourraient néanmoins être tentés de passer des accords de licence directs avec la multinationale. « Nous pourrions ainsi nous attaquer sans attendre à l'étude des fonctions de certains gènes du maïs ou du blé, les céréales qui nous intéressent vraiment », admet Michel Baron, directeur de la veille scientifique chez le semencier français Limagrain. D'autres bailleurs de fonds du programme de séquençage du génome du riz, privés comme publics, pourraient aussi souhaiter abandonner tout ou partie du programme initial et négocier avec la firme du Missouri. « L'économie serait virtuelle, pronostique Rick de Rose. Ce que nous gagnerions d'un côté nous le perdrions au centuple par la suite, en travaux de finition et en droits de licences. »

Vincent Tardieu
Le Monde daté du jeudi 3 août 2000

  • Publié: 10/10/2013 14:39
  • Par Mark Andris
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