Linux ou Windows, Windows ou Linux ? Lequel est le plus simple, lequel est le mieux conçu, le plus sûr ? Au fond, ce débat-là, qui mettrait aux prises partisans des logiciels commerciaux et prosé lytes de ceux dits "libres", ce débat-là et ses arguties techniques n'intéressent guère Laurent Chemla. S'il a décidé, avec d'au tres, de faire vivre l'association Ecole Ouverte de l'Internet, c'est avant tout par principes, par éthique. Une forme de morale qu'il résume en ces mots : "Dans l'Education nationale plus qu'ailleurs, il n'y a pas d'autre choix que d'avoir le choix."
Promouvoir les logiciels libres auprès du corps enseignant, orga niser des formations bénévoles à Linux et ses petits frères, c'est pour l'association une démarche citoyenne. Qui ne vise certes pas à transformer l'enseignement public en vaste salle des ventes, ni les profs en super VRP d'un produit unique. "Le logiciel libre, insiste Laurent Chemla, ne répond pas à un choix purement technique. Mais personne ne comprendrait que l'éducation nationale ne soit pas in dépendante d'une marque commerciale. On ne peut pas construire un marché sur l'école publique".
L'idée est née à l'été 1997, au lendemain du discours de Lionel Jospin sur l'entrée de la France dans la société de l'information, le fameux "discours d'Hourtin". Suivi d'un voyant lobbying de Microsoft pour proposer solutions et formations aux enseignants. "Or, précise encore Laurent Chemla, le logiciel, dans l'enseignement, n'est pas qu'un outil. Il est l'objet même de l'enseignement ". Il était devenu nécessaire de réagir. L'association Ecole Ouverte de l'Internet a donc empoigné son bâton de pèlerin pour tenter de convaincre les pouvoirs publics. Afin, par exemple, que l'apprentissage de Linux puisse être pris en compte dans le cadre de la formation continue des enseignants. Vaine croisade. Accueil attentif et déclarations de bonnes intentions. Mais rien d'autre à l'horizon. A moins que le récent succès médiatique de Linux et de la distribution libre ne finisse par apostropher quelques consciences. Pour l'heure, ce coup de projecteur a, paradoxalement, plutôt compliqué la tâche de Laurent Chemla et de ses compagnons formateurs. "A force d'entendre dire que Linux se rait une alternative à Windows, certains enseignants viennent en formation avec l'idée que ce serait aussi simple, explique-t-il. Il n'en est rien : l'approche de Linux réclame des efforts, il faut le savoir."
Autre milieu, autre approche. Pour Gérard Delafond, médecin généraliste, se sont au contraire les arguments techniques qui plaident en faveur de Linux, objet de toutes les attentions d'une liste de diffusion appelée Toubibs Free où quelque cent cinquante médecins échangent leurs points de vue. "C'est vrai que l'on critique beau coup Linux pour sa complexité. Des critiques qui ne sont pas forcément fondées, sauf à confondre le rôle de l'administrateur informatique et ce lui de l'utilisateur. Une fois Linux correctement installé et administré, l'utilisateur ne peut plus faire de fausse manoeuvre, comme par exemple formater par erreur le dis que dur, ou bien encore effacer des fichiers systèmes."
Le discours se veut donc rassurant. Cela ne suffira peut-être pas à lever les réticences d'un monde médical en core très réticent en matière d'informatique. "Le taux d'équipement qui atteint les 30 %, estime Gérard Delafond, mais le taux d'utilisation ne dépasse guère les 15 %". Autant dire qu'il reste du monde à convaincre, et que la tâche ne sera pas aisée : excepté un guide des médicaments génériques de la Sécurité sociale, il n'existe pour l'heure aucune application développée pour Linux. Un obstacle qui n'est pas propre au domaine médical, mais qui dévoile un joli paradoxe : en l'absence de pilotes pour les périphériques et d'outils bureautiques véritable ment adaptés, Gérard Delafond lui-même est bien obligé d'admet tre que pour ses activités quotidiennes, il est resté sous Windows.
Le Monde