LES DERMATOSES ne sont pas des maladies ordinaires. Elles frappent l'organe de relation avec l'extérieur par excellence, la peau. Celle-ci joue, dès la naissance, par l'intermédiaire des échanges tactiles avec la mère, un rôle fondamental dans le développement cognitif, social et affectif de l'individu. Elle est aussi exposée au regard d'autrui et ses altérations sont, de ce fait, « affichantes ».
A la lumière des observations des dermatologues comme des psychologues, le problème mère-enfant est toujours présent dans la dermatite atopique du nourrisson, avec une mère dépressive et angoissée lorsque l'enfant est dans les premiers mois de sa vie. Cette dépression retentit sur le psychisme et la peau du bébé. Le dermatologue s'occupe d'améliorer la qualité de la peau et la qualité de la vie. Mais les anomalies de la relation mère-enfant à la naissance doivent aussi être prises en compte, sinon, elles réapparaîtront tout au long de la vie du patient.
Certains médecins ont acquis, outre leur formation de dermatologue, une formation de psychanalyste ou de psychiatre et psychanalyste. A l'hôpital Saint-Louis, à Paris, le docteur Danièle Pomey-Rey a créé le Cercle d'études et de rapprochement entre la dermatologie et la psychanalyse et met en place un groupe de psychothérapie d'inspiration psychanalytique. A la Pitié-Salpêtrière, le docteur Sylvie Consoli étudie les effets du stress sur les dermatoses et, à l'Hôtel-Dieu, le docteur Nicolas Dantchev étudie les rapports entre dépressions et dermatoses.
Le professeur Sami-Ali, président du Centre international de psychosomatique, a développé, quant à lui, un modèle théorique prenant en compte le corps réel et non le corps imaginaire, comme le fait la psychanalyse.
Ce modèle repose sur l'affirmation que l'on ne peut réduire la pathologie organique à son aspect symbolique, comme c'est le cas dans l'hystérie. Ce qui n'exclut pas que le malade « psychosomatique » puisse en même temps présenter une symptomatologie névrotique ou psychotique avérée. Mais aucun passage ne peut s'effectuer entre celle-ci et la pathologie organique.
Il part du postulat que le psychique est relationnel autant que le somatique ; toute pathologie doit être considérée comme concrètement liée à un problème de relation entre le sujet malade et le monde extérieur qui, sans solution, débouche sur une impasse. La maladie organique apparaît dans des situations d'enfermement que le sujet ne peut pas dépasser.
En ce qui concerne la dermatite atopique, il s'agit d'une manifestation du système immunitaire engagé très précisément dans le système relationnel, dans le problème du soi et du non-soi.
« La survenue d'un eczéma dans les tout premiers mois de la vie témoigne d'une impasse relationnelle entre le nourrisson et sa mère dépressive. Il s'agit le plus souvent d'un enfant conçu à un moment où la mère vivait un conflit majeur, précise Sami-Ali. Non désiré, non accepté, toutes les issues sont identifiées de manière négative et il entre dans un cercle vicieux où l'eczéma, cause de démangeaisons, se complique de lésions de grattage qui aggravent le problème et conduisent à une impasse médicale. » Pour être efficace, la thérapie doit agir sur les deux parties de la relation, la mère (et le père) et l'enfant et aborder le problème de l'impasse relationnelle.
Un phénomène central du problème de la maladie allergique serait celui de l'incapacité du nourrisson à dépasser l'identification de son visage et de tous les visages à celui de sa mère et à construire ainsi sa propre identité.
Le travail du professeur Jean-Marie Gauthier a montré que, pour accéder à l'identité assimilée au visage, il faut passer par des moments dramatiques où, progressivement, l'image de soi se dégage de l'image de l'autre. Autour du huitième mois, l'enfant commence à apprécier la différence entre le visage de sa mère et celui des autres. Comme l'enfant confond son propre visage avec celui de sa mère, le jour où il découvre la différence des autres, elle l'interpelle sur sa propre identité et l'enfant manifeste ce qui est appelé l'angoisse du huitième mois.
« Or l'enfant allergique ne développe pas d'angoisse à cet âge, seule existe chez lui la perception de l'identique, développe Jean-Marie Gauthier dans le livre Allergie et psychosomatique, publié en 1996 par le Centre international de psychosomatique, sous la direction de Sami-Ali. Un intense effort d'élaboration lui permet de gommer cette différence. Cependant, il faut surtout insister sur le fait que l'allergie demeure une maladie de la relation dans laquelle joue, de façon déterminante, l'attitude maternelle. La mère apparaît comme celle qui favorise ou empêche que l'enfant accède à l'autonomie, en prenant appui sur elle afin de se détacher d'elle, pour autant qu'elle-même introduit ou occulte l'altérité au moment où l'enfant se constitue une identité en tant que visage. »
E. Bx
Le Monde