Les « Omics »

Sous le terme générique « omics » s’apparentent de nouvelles technologies faisant référence à « genomics, transcriptomics, proteomics, metabonomics... ». Ces outils permettent une analyse précoce et spécifique des effets d’une substance chimique sur l’organisme. En particulier, l’étude de la réponse du génome à l’exposition d’agents toxiques (toxicogénomique) connaît à l’heure actuelle un fort essor et est en voie de révolutionner la toxicologie. Les « omics » ouvrent l’ère d’un nouveau défi à la génomique et s’inscrivent également comme de nouveaux outils de diagnostic. Ils font de plus, grâce aux informations précieuses qu’ils apportent, naître de grands espoirs pour le criblages de molécules et l’identification de médicaments.

Le 25 avril 1953, deux jeunes chercheurs établissent la structure en double hélice de la molécule d’ADN. Depuis, tout s’est accéléré à un rythme soutenu et 50 années ont suffi pour que la séquence du génome humain devienne accessible. Chez l’homme, on dénombre à ce jour près de 21 000 gènes. Ces nouvelles données génétiques ont engendré la création d’un grand nombre de biotechnologies dont les applications suscitent un intérêt croissant pour de multiples secteurs de la recherche et l’industrie pharmaceutique. L’avènement de la génomique et de la protéomique a facilité l’élucidation des réponses cellulaires induites par l’exposition à des substances chimiques.

Ces avancées technologiques sont en passe de transformer la toxicologie. Jusqu’à présent, l’approche du génome était surtout structurelle et donnait une vision statique, une sorte de photographie des séquences de gènes. Elle ne permettait ni de prédire, ni de rendre compte de la complexité des interactions dans le temps et dans l’espace entre les différents systèmes biologiques, ni de déceler leurs modifications. Avec la génomique fonctionnelle, il est possible de suivre l’expression spatiotemporelle des produits des gènes.

Les changements de cette expression peuvent ainsi être mis en évidence, alors même que la fonction de certains gènes demeure encore inconnue.

Une signature toxicologique grâce à l’étude du transcriptome

Chaque substance chimique exogène interfère avec le métabolisme normal d’une cellule et de manière spécifique avec la réponse cellulaire. Il en résulte des modifications de l’expression de gènes et la dérégulation de processus cellulaires, qui se traduisent par des changements qualitatifs et quantitatifs importants dans le contenu en protéines. Il est ainsi possible d’étudier les modifications de la réponse du génome d’une cellule induite par un xénobiotique ou un toxique. Le transcriptome est constitué par l’ensemble des ARNm présents dans une cellule dans une situation donnée. Il correspond au petit pourcentage des bases d’ADN qui sont transcrites en ARNm, soit moins de 5 % chez les humains et les autres mammifères. Collecter et comparer les transcriptomes permet d’identifier et de quantifier les produits de l’expression des gènes d’une cellule ou d’un tissu dans un environnement donné. L’évaluation simultanée des effets à la fois adverses et bénéfiques que peut avoir une substance chimique sur les systèmes biologiques devient alors possible. On arrive ainsi à obtenir une « signature toxicologique » pour un produit déterminé avec, comme outils, des biomarqueurs intracellulaires. De telles informations contribuent a une meilleure compréhension du mode d’action des substances chimiques grâce à l’identification de leurs cibles moléculaires.

La transcriptomique permet ainsi une évaluation quasi immédiate du risque toxicologique. En effet, l’altération de l’expression des gènes apparaît rapidement à la suite de l’exposition, alors que la manifestation clinique de la toxicité peut prendre des jours, des mois et même des années pour se développer. L’identification de catégories de substances toxiques auxquelles la cellule a été exposée est dès lors envisageable.

L’obtention d’« empreintes toxicologiques »

Des modèles de prédiction de toxicité et l’élaboration d’une base de données sur les effets des substances chimiques dans les systèmes biologiques semblent dès lors envisageables. L’étude des effets sur l’expression des gènes d’un large nombre de produits de référence dont la toxicité est connue pourrait permettre d’établir une base de données avec des profils d’induction / répression spécifiques de chaque type de toxicité. Prédire le potentiel toxique d’un nouveau composé serait ensuite relativement simple. Cela se ferait par analogie avec les profils des produits de références. On connaît des marqueurs de la toxicité affectant la reproduction, le développement, les capacités immunitaires, les neurones et les communications neuronales ainsi que des marqueurs impliqués dans les réponses inflammatoires, les cancérogenèses, les divers stress altérant le métabolisme des cellules et leurs communications. Les produits référents auraient ainsi leur « empreinte toxicologique ».

Les réponses toxicogénomiques, une fois connues dans un système vivant soumis à des conditions particulières de stress, peuvent devenir utiles pour prédire les modes d’actions de composés similaires chez d’autres espèces.

Encore de nombreux défis pour la toxicogénomique

Les espoirs que font naître ces méthodologies restent cependant confrontés au grand nombre et à la variété des drogues, des substances chimiques et des contaminants environnementaux, à la diversité des espèces sur lesquelles ils agissent, aux facteurs temps et doses critiques susceptibles d’induire un effet bénéfique ou néfaste et à la variabilité des conséquences phénotypiques de l’exposition. Une autre difficulté majeure repose dans la différenciation des changements de l’expression génique. Ces modifications peuvent être provoquées par la réponse adaptative de la cellule à des stimuli externes sans signification toxicologique. Dans un autre cas de figure, les modifications génomiques représentent effectivement les premiers stades de dommages non réversibles. Certaines altérations peuvent être transitoires et d’autres conduire à des changements permanents. Les données s’obtiennent de plus en plus vite, mais elles doivent s’accompagner de la compréhension et de l’interprétation des informations qu’elles apportent au niveau biologique. Un nouveau défi est lancé à la bioinformatique dont les avancées actuelles laissent envisager qu’il sera relevé.

Les « omics » : un potentiel considérable

Les capacités de la chimie et des techniques de synthèse à générer de nouvelles molécules ont augmenté de façon exponentielle. Dans une telle dynamique, la pharmacogénomique et la toxicogénomique ont d’ores et déjà un rôle fondamental à jouer dans les processus d’évaluation de l’efficacité et de la toxicité des produits de santé. La méthode doit être rapide et réalisable sur des quantités extrêmement faibles de produits.

Elle doit permettre de visualiser l’action à la fois bénéfique et adverse des produits directement au niveau de la cellule tout en mettant en évidence les mécanismes de toxicité dans le but d’identifier les effets secondaires et indésirables.

Nous ne réagissons pas tous de la même manière à un médicament ou à une substance toxique. L’effet d’un produit sur un individu est fonction de son propre patrimoine génétique.

Ces outils d’investigation devraient par conséquent permettre de prendre en compte la variabilité génétique des populations dans les connaissances sur la toxicologie.

Avec la toxicogénomique, la toxicologie est en passe de devenir une science de prédiction et de prévention. Cette nouvelle ligne de recherches conduit à une analyse plus approfondie de la relation entre l’exposition à un xénobiotique et l’étiologie de la maladie. Les informations qu’elle apporte aident à élucider les nombreuses questions sur les mécanismes moléculaires de la toxicité.

Par ailleurs les « omics » conviennent parfaitement à l’étude des effets des toxiques qui se retrouvent en général sous forme de mélanges complexes dans l’environnement. Il devient alors possible d’élaborer des profils d’expression correspondant au toxique seul ou associé à d’autres xénobiotiques.

Des puces à ADN pour mesurer les modifications del’expression génique

Avec le développement des puces à ADN ou « microarrays », il est devenu possible de visualiser le niveau d’expression de plusieurs milliers de gènes dans des conditions physiologiques ou pathologiques différentes. Savoir où et quand un gène ou un réseau fonctionnel de gènes est transcrit en ARN et déterminer quels gènes sont actifs ou inactifs en présence d’un produit particulier, représentent des indices incontestables pour mieux appréhender les effets d’un xénobiotique sur la cellule. Le fonctionnement de cette technologie repose sur le principe d’hybridation entre séquences nucléotidiques complémentaires.

Ces « biopuces » sont en fait des supports solides qui peuvent être des petites lames de verre comme celles utilisées en microscopie. Des milliers de fragments d’ADN y sont déposés. Une puce à ADN standard peut contenir actuellement 18 000 à 20 000 gènes. Ces fragments serviront de sondes pour fixer de façon très spécifique les fragments de gènes complémentaires ou cibles, présents dans les échantillons biologiques à tester.

Les cibles utilisées sont réalisées par transcription inverse à partir d’ARN total ou messager. Elles sont marquées au moyen de traceurs fluorescents. L’hybridation qui résulte de la mise en contact sonde / cible pourra donc être mise en évidence par des techniques de fluorescence. Les signaux ainsi obtenus sont quantifiés et les fragments de gènes reconnus sont identifiés par un système d’acquisition d’image, puis par l’analyse des données grâce à des logiciels informatiques. Il est alors possible de valider les résultats sur le plan statistique et de les interpréter au niveau biologique. La sensibilité de ces « microarrays », est telle qu’un ARNm exprimé en une seule copie par cellule peut en principe être détecté. Par ailleurs, grâce aux nouvelles générations de biopuces, il est maintenant possible d’analyser l’expression de la quasitotalité des gènes du génome humain en une seule fois.

La PCR (ou réaction de polymérisation en chaîne) quantitative en temps réel a été longtemps indispensable pour valider les résultats des expériences sur puces à ADN. Cette technique permet en effet de mesurer précisément le niveau d’expression d’un gène, soit de manière relative en comparant des états biologiques, soit de manière absolue par le nombre de copies du messager dans une cellule placée dans différentes situations physiologiques. Cette validation technique n’est désormais plus nécessaire vu le très haut niveau qualitatif et quantitatif des résultats sur les biopuces de nouvelle génération.

Une approche complémentaire, la protéomique

L’étude de l’expression des gènes peut être reliée à l’analyse du protéome. Ce terme, inventé il y a une dizaine d’années, concerne l’étude de l’ensemble des protéines exprimées par un génome et codées sur les ARNm. On cherche alors à savoir si la substance étudiée agit sur la traduction des protéines au niveau d’une cellule ou d’un tissu et si des modifications structurales sont induites sur certaines de ces protéines à la suite de l’exposition. Cette approche complémentaire se focalise sur les éléments fonctionnels des cellules et des tissus dont certains pourront dès lors servir de biomarqueurs de toxicité.

En protéomique, la quantité de données obtenues est considérable et leur étude nécessite une compréhension approfondie du contexte biologique. Les nouveaux champs d’application de la toxicoprotéomique sont en pleine évolution, avec l’arrivée à maturité de certaines technologies et approches expérimentales.

source: Cibac Mag

  • Publié: 30/04/2013 16:40
  • Par Mark Andris
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