L’Homme, la Génétique et la Douleur

Une équipe américaine a identifié un gène protecteur contre le risque de douleur aiguë et chronique chez l’homme, mettant ainsi en évidence une nouvelle voie de signalisation de la douleur et offrant un espoir pour la mise au point de nouveaux traitements.

« Tu as mal ? Alors dis-moi qui est ton père... », titre l’éditorial publié dans la revue Nature Medicine sur la découverte d’un nouveau gène lié à la sensibilité à la douleur. Des études antérieures ont déjà suggéré que la perception de la douleur et le risque de douleur chronique varieraient selon les individus, en fonction de facteurs héréditaires.

Certaines personnes possèdent ainsi un risque accru de développer des douleurs chroniques, qui surgissent par crises récurrentes pendant plusieurs mois ou années, après un traitement chirurgical ou à cause d’une maladie.

Parmi les douleurs chroniques, les douleurs neuropathiques, causées par des lésions des fibres nerveuses périphériques, fréquentes chez les patients souffrant de diabète, d’hernie discale, de sclérose en plaques ou de certains cancers, s’avèrent très difficiles à traiter. « Elles se caractérisent par deux types de symptômes : l’allodynie, une sensation douloureuse déclenchée par un stimulus anodin tel qu’un simple effleurement, et l’hyperalgésie, une hypersensibilité à la douleur », explique le professeur Michel Hamon, directeur de l’unité de neuropsychopharmacologie à l’Inserm à Paris.

La mise au point de nouveaux traitements s’avère donc essentielle pour soulager ces patients. Toutefois, les mécanismes biologiques à l’origine de la perception de la douleur, impliquant de nombreux neurotransmetteurs, sont encore mal connus.

Une nouvelle voie de signalisation de la douleur

Pour tenter d’identifier les gènes impliqués dans la douleur neuropathique, l’équipe de Clifford J. Woolf de la Harvard Medical School a analysé l’expression des gènes dans la corne dorsale de la moelle épinière chez le rat, un relais majeur des voies de transmission et de régulation de la douleur.

Les chercheurs ont ainsi identifié le gène GCH1, surexprimé après section du nerf sciatique chez le rat, un modèle animal de la douleur neuropathique. Or ce gène code pour la GTP cyclohydrolase, une enzyme clé dans la voie de synthèse de la tétrahydrobioptérine (BH4), elle-même cofacteur essentiel de la production de différents neurotransmetteurs impliqués dans la perception de la douleur.
Rôle de BH4 dans la régulation de la douleur - La lésion d’un nerf induit une augmentation de la GTPcyclohydrolase, enzyme clé de la synthèse de BH4, lui-même induisant la production en excès des neurotransmetteurs à l’origine de la sensation de douleur.

Pour confirmer le rôle de la BH4 dans la douleur, les scientifiques ont administré chez des rats un inhibiteur de la GTP cyclohydrolase, le DAHP (2,4-diamino-6-hydroxypyrimidine), et ont constaté un soulagement de la douleur neuropathique. Pour expliquer cet effet, les chercheurs émettent l’hypothèse selon laquelle l’inhibition de la synthèse de BH4 préviendrait l’excès de production de monoxyde d’azote (NO), un excitant des voies de la douleur. À l’inverse, l’administration de BH4 a exacerbé la sensibilité à la douleur chez des rats sains, non opérés.

Un allèle protecteur contre la douleur

Afin d’examiner si le gène GCHl et le facteur BH4 jouent également un rôle dans la perception de la douleur chez l’homme, Clifford J. Woolf et ses collègues ont recherché des variants de ce gène chez 168 patients opérés d’une hernie discale et suivis pendant un an. L’hernie discale, provoquée par le pincement d’un nerf sous une vertèbre suite à un tassement accidentel d’un disque intervertébral, induit des douleurs neuropathiques qui persistent chez certains patients même après la chirurgie. Les chercheurs ont découvert un allèle du gène GCHl dont la fréquence s’élève à 15 %, et qui a été associé à un risque faible de développer une douleur chronique, un an après l’opération. Les patients porteurs de deux copies de cet allèle présentaient le risque le plus faible de douleur persistante. En outre, les chercheurs ont observé que des volontaires en bonne santé porteurs de cet allèle présentaient une sensibilité réduite à la douleur aiguë par rapport aux porteurs de l’allèle normal.

Une explication à cette étonnante disparité a été apportée par les analyses cellulaires: après stimulation, le gène GCHl s’est révélé moins activé chez les porteurs de l’allèle protecteur que chez les porteurs de l’allèle normal. Or, la mutation génétique de cet allèle a été détectée dans la région du gène GCHl responsable du contrôle de l’activation du gène. Cela suggère que ce variant génétique confère une protection contre la douleur chronique et aiguë, en répondant à un stimulus tel qu’une lésion d’un nerf, par une plus faible activation. « L’aspect le plus intrigant de cette étude est la corrélation entre le modèle animal et l’expérimentation chez l’homme, chacun montrant le rôle clé du gène GCH1 dans la sensibilité à la douleur », commente l’auteur de l’éditorial.

Ces résultats permettent d’imaginer un nouveau traitement contre la douleur qui agirait en inhibant l’expression du gène GCHl ou directement sur l’enzyme GTP cyclohydrolase. L’inhibiteur utilisé chez le rat, le DAPH, n’est pas assez puissant pour être efficace chez l’homme mais d’autres substances sont actuellement recherchées.

La découverte du variant génétique ouvre également la voie à la mise au point d’outils de pronostic pour prédire la sensibilité à la douleur chronique des patients et adapter ainsi leur traitement. Les douleurs chroniques toucheraient plus de 50 millions d’Américains.

source: Cibac Mag

  • Publié: 13/08/2013 16:42
  • Par Mark Andris
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